Pour faire une expertise, nous entrons parfois dans la vie des gens sans le vouloir. Ma mission ce jour consistait à réaliser un partage équitable, les personnes qui m’ont accueilli étaient bienveillantes aussi bien avec moi qu’entre elles alors qu’il nous faut parfois apaiser les querelles avant de pouvoir travailler sereinement.
Nous sommes passés d’une pièce à l’autre et mon œil retenait ici et là tel meuble ou tel objet qui attirait mon attention. Chaque personne présente avait une préférence pour celui-ci ou celui-là, en fonction des souvenirs évoqués. Toutefois un objet ne suscitait aucune question des propriétaires du lieu, il s’agissait d’un grand plat en laiton. Lorsque je leur dis ma surprise, ils me répondent : « Nous pensons qu’il n’a pas d’intérêt, il a sûrement été rapporté d’Algérie par notre père – en fait nous n’y faisions pas attention, mais vous semblez d’un avis contraire ? » Je le décroche, il ne s’agit pas d’un plat rapporté par leur père ni une fabrication du XIXème siècle dans l’esprit de Viollet-le-Duc. Je leur apprends qu’il s’agit d’un plat à offrande fabriqué entre le XIIème et le XVIème siècles. Je leur explique son histoire et son utilité.
D’abord surpris et bien entendu agréablement étonnés de la valeur potentielle de cet objet, ils étaient émus et m’ont dit que, quelque part, la symbolique initiale racontée les ramenait à leurs parents qui étaient reconnus pour leur générosité vis-à-vis des autres et n’hésitaient pas à donner sans compter leur temps et leur force morale pour aider ceux qui en avaient besoin...
Notre métier d’expert doit nous amener à ce constat, un meuble, un objet ou quelque autre chose correspondent évidemment à une place dans le temps, dans l’histoire et ses coutumes, mais aussi à l’importance de l’humain dans sa création – son utilité ou sa capacité à nous étonner ou à nous émerveiller.
Bien entendu, nous devons être au fait de leur valeur sur le marché de l’art. Parmi les qualités que l’on demande à un expert, il y a la connaissance, l’expérience, mais aussi la diplomatie.
Qu’est-ce qu’un PLAT à OFFRANDE ?
Dans l’usage liturgique il était destiné à recevoir, initialement, les dons de pain puis plus tard de quête – il pouvait être utilisé de façon profane pour des gestes coutumiers ou bien encore dans le milieu médical si particulier à cette époque.
Les matières utilisées pour sa fabrication étaient diverses : le laiton – l’étain – parfois en terre cuite – en argent et plus rarement en or.
Ceux réalisés en laiton étaient fabriqués par les dinandiers. La corporation des batteurs de cuivre prend son essor en Belgique, à Dinant sur Meuse, vers le XIIème et XIIIème siècles et lui donnera son nom revisité.
La dinanderie regroupe les objets travaillés en cuivre ou en laiton (métal battu) mais également en bronze et laiton (métal fondu).
Au Moyen Age, les compagnons fabriquent surtout des objets religieux mais vers le XVème siècle les plats en laiton martelé à décor repoussé sont fabriqués plus largement pour un usage d’agrément – d’utilité domestique ou de décor.
La Normandie se targue d’avoir encore à ce jour un centre réputé pour cet artisanat, il s’agit de Villedieu les Poêles dont les habitants s’appellent les « sourdins » ; je pense que vous avez deviné pourquoi ?
Claude Vilars est expert en mobilier et objets d’art du XVIIIe siècle, mobilier régional, art populaire, ex-voto et compagnonnage. Membre de la Fnepsa depuis 1986. Trésorier national depuis 2003.
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