En tant qu’expert technicien spécialisé dans la restauration des livres anciens, je suis régulièrement présente sur les salons spécialisés dans l’univers des livres anciens. Une année, les représentants d’une bibliothèque patrimoniale d’une grande ville du centre de la France cherchaient les compétences d’un restaurateur pour une mission très spécifique. Cette institution publique possède de véritables trésors comme des documents régionaux anciens, des incunables, des cartes du XVIe et XVIIe siècles ou des imprimés de Blaise Pascal de grande valeur. Cela a été le point de départ d’une collaboration plus riche que je n’aurais imaginé : former les agents aux bases de la conservation de leur patrimoine. Ainsi, depuis six ans, je leur apprends à regarder leur patrimoine autrement, sous l’angle de la préservation du document historique en tant qu’objet fragile soumis aux affres du temps.
Notre but commun est de préserver sa vie matérielle pour le transmettre aux générations futures. Dans ma fonction, je suis une sorte de docteur qui enquête pour savoir ce qui fait souffrir l’objet et qui met en place les moyens pour lui redonner une santé. Le dicton «mieux vaut prévenir que guérir » est aussi bien valable pour nous que pour les objets. C’est pourquoi j’ai formé le personnel à la conservation préventive, c’est-à-dire que nous mettons en place ensemble une méthodologie pratique afin que ce patrimoine soit conservé dans les meilleures conditions environnementales possibles. Ainsi, j’observe tout ce qui se passe dans les réserves et j’en propose une réorganisation au service de la conservation matérielle des documents. Avant de passer à l’étape de la restauration des ouvrages, j’ai donné quelques conseils et des clefs aux agents pour déterminer le niveau d’intervention de ce qui est urgent, de ce qui nécessite un simple dépoussiérage ou ce qui peut attendre. Ainsi, quand vient la nécessité de préparer ce qu’on appelle « un train de restauration », c’est-à-dire la programmation des documents qui nécessitent une intervention de ma part, j’ai indiqué au personnel tout ce qu’il faut savoir pour établir une hiérarchisation optimale des priorités. Cela permet à l’institution publique de mieux gérer le budget qui lui est alloué.
Depuis que nous avons tissé ce lien de confiance, cela fait quelques années maintenant, je suis même sollicitée quelques fois avant toute démarche d’achat d’un document qui nécessiterait une restauration. On pourrait donc penser qu’un restaurateur n’intervient que lorsque l’objet a souffert. La dimension de conseil et d’accompagnement de l’expert technicien en amont permet d’anticiper et de sauvegarder plus facilement le patrimoine et à des coûts moindres.
Isabelle Scappazzoni est expert technicien en livres anciens et modernes, enluminures et reliures. Membre de la Fnepsa depuis 2009. Secrétaire générale depuis 2018.
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