Avant de devenir expert professionnel indépendant, j’étais conservatrice des musées de Cagnes-sur-Mer pendant six ans, spécialiste de la peinture impressionniste et plus particulièrement du peintre Auguste Renoir.
Chez un commissaire-priseur de la région, j’avais repéré un tableau qui portait le titre « Les Toits du Vieux-Nice ». Cette toile n’était ni signée ni datée, cependant ses couleurs, sa touche et son sujet m’évoquaient Renoir tout entier ! Mais un sentiment ne suffit pas pour confirmer qu’il en était l’auteur. Il me fallait des preuves concrètes. Je savais que je devais identifier précisément le sujet et la date de réalisation. Mon intuition me disait de me rendre à l’adresse niçoise de l’artiste où je trouverais la réponse. Coup de chance ou du destin... une relation me dit qu’elle connaît le propriétaire privé de l’ancien appartement de Renoir. Je suis finalement invitée à visiter les lieux. Je me rends sur le balcon avec fébrilité et... le spectacle s’offre à moi comme une évidence : il s’agit bien de la vue du tableau peinte par Renoir lui-même. Au sommet de la colline, sur la droite, il avait représenté l’ange de l’imposant monument funéraire Grosso, au cimetière du Château où son épouse était enterrée depuis 1915. Il est donc probable que cette vue constitue le témoignage silencieux de l’amour qui continue d’unir Auguste à sa défunte Aline, séparés l’un de l’autre par seulement quelques centaines de mètres. Ce tableau, qui n’avait pas de valeur en l’état et avait été laissé aux bons soins de la maison de ventes par son propriétaire, a été soumis au comité Bernheim pour être finalement inclus au catalogue raisonné. Je l’ai fait acheter par la municipalité de Cagnes-sur-Mer, tout destiné qu’il était pour son Musée Renoir !
De nombreuses peintures anonymes entre les mains de particuliers perdent leur histoire, faute de pouvoir en retracer la provenance. Avec de sérieuses connaissances dans son domaine de spécialité, un œil développé, une dose maîtrisée de critique et beaucoup de ténacité, l’expert, qui apporte son concours aux clients le sollicitant, permet de sauver des œuvres de l’oubli et, pire, de la destruction. Le grand public ignore trop souvent que ce professionnel de l’art est un chaînon indispensable dans la sauvegarde du patrimoine.
Virginie Journiac est expert en peinture ancienne, impressionnisme et post-impressionnisme. Membre de la Fnepsa depuis 2021.
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