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Les incunables

par Isabelle Scappazzoni

 

IncunableAperçu historique

On appelle incunables les premiers livres imprimés par procédé typographique de 1450-14511 à 1500 ou 1501 selon les sources, nom provenant du mot latin «incunabula» qui signifie «berceau» (de l’imprimerie à caractères mobiles). Les formes des livres évoluent lentement et c’est plutôt autour des années 1530 que les livres s’émancipent enfin des formes médiévales héritées des manuscrits.

Incunabula fut utilisé pour la première fois dans le domaine du livre imprimé par Becrnhard Von Mallinckrodt (1591-1664) doyen du chapitre de la cathédrale de Munster, dans un écrit publié en 1640 à Cologne. Ceci dans le contexte de la commémoration du 200° anniversaire de l’invention de l’imprimerie. Il démontre la légitimité de la candidature de Mayence et le rôle de Fust. Il a fixé durablement le périmètre chronologique de l’objet « ante annum secularem 1500 » en recourant au terme d’incunabula. Il fut repris en 1688 dans un catalogue répertoriant les premiers ouvrages imprimés, publié à Amsterdam par Beughem : « Incunabula typographiæ ».

IncunableIdentification

Au début de l’imprimerie, le livre ouvert ne dévoile pas immédiatement son origine géographique. En effet, la page de titre s’élabore lentement et ne s’impose réellement qu’à la fin du XVème siècle.

La première page de texte ne commence qu’au verso d’une feuille laissée blanche. Le texte débute par le mot latin incipit (ici commence) suivi du titre et parfois de l’auteur et se termine par l’explicit (ici finit). Celui-ci peut être suivi du colophon, d’un mot grec signifiant « achèvement », formule énonçant le nom de l’auteur et le titre, précisent l’adresse bibliographique: lieu, imprimeur, date.

 Un autre élément d’identification figure aussi à la fin du texte ; il s’agit de la marque d’imprimeur qui de ce fait appose sa signature pour individualiser sa production.

Cette marque est gravée sur un bois, imprimée et souvent devient un élément décoratif et publicitaire.

Parfois celle-ci s’accompagne d’une devise. Si le libraire est différent de l’imprimeur, alors la marque du libraire sera sur la page de titre et celle de l’imprimeur au colophon.

Peu à peu, ces éléments migreront en tête de l’ouvrage, sur le recto de la première page laissée blanche.

Il s’agit d’abord du titre seul, une ou deux lignes, qui par la suite s’étirent parfois en réelle table de sommaire.

Si un de ces éléments manque, on peut définir un incunable par l’étude de ses caractères typographiques qui permet ainsi, dans la plupart des cas d’identifier l’atelier d’où il est issu.

Présentation d’un incunable

La reliure

Dans un premier temps, l’aspect des imprimés diffère peu de celui des manuscrits qui leurs servent de modèle. Ce sont des reliures gothiques sur ais de bois, de hêtre ou de chêne selon la provenance.

La caractéristique principale d’une reliure gothique est que la lanière de support de la couture entre dans l’ais par-dessus les bords biseautés de la face extérieure de celui-ci (et non plus un passage creusé dans le chant de l’ais). A travers les quelques centaines de reliures gothiques originales qui ont survécus, notre connaissance à leurs sujets ne concernent souvent que leur style de décoration des plats. C’était le principal intérêt des chercheurs et historiens du livre jusqu’en 1890, date à laquelle un maître relieur allemand Paul Adam a écrit une monographie sur l’histoire des reliures en incluant les techniques2. Et comme nous le verrons un peu plus loin, jusque dans les années 2003, les bases de données concernant les incunables et les imprimés témoignent principalement du recouvrement et de la décoration des livres.

Bien qu’il y ait eu quelques incunables imprimés sur parchemin, la plupart étaient sur papier. Le processus d’impression formait généralement des ondulations au milieu des feuillets. Les gardes pouvaient être en parchemin ou papier avec différentes possibilités de couture au bloc texte.

La couture se fait sur ficelle de chanvre ou lanière de peau double, fendue et torsadée (le plus souvent peau blanche tannée à l’alun). Le nombre de nerfs de couture augmente alors que le format diminue par rapport aux reliures des manuscrits. L’apprêture du dos quant à elle peut être complétée par des renforts de toile ou de parchemin en simple bande à cheval du dos ou en grande bande en quinconce, revenant sur les plats intérieurs.

Les tranchefiles gardent leur fonction principale de renforcement de la couture et de rattachement aux ais. Pour les reliures italiennes et françaises elles sont brodées de fils de soie de couleurs vives sur une âme de cuir ou ficelle avant ou après le recouvrement. Pour les structures allemandes, elles sont souvent en cuir tressé après recouvrement.

Concernant les reliures gothiques, un changement technique s’opère au XVe siècle : les planches de bois sont biseautées, de l’extérieur vers l’intérieur, avec des caractéristiques différentes selon l’origine géographique des reliures. De même que le passage des lanières dans les ais. Les ais deviennent aussi plus fins qu’au XIVe siècle. Mais ils commencent à être supplantés par des feuillets de papier contrecollés, puis par du carton3.

Le cuir reste le matériau principal de couvrure, bien que l’on trouve aussi quelques reliures en étoffe (lin, chanvre ou soie). Le veau à tannage végétal, le porc tanné à l’alun ou la peau de mouton retournée sont les plus courants ainsi que le parchemin.

Le cuir est collé au dos contrairement aux reliures médiévales. Plusieurs manières de remplier les coins sur les ais intérieurs sont possibles comme cela a été déterminé par J.A. Szirmai dans son « Archaeology of medieval bookbinding ».

Les reliures peuvent être des pleines reliures ou des demi-reliures, c'est-à-dire que le recouvrement s’arrête au tiers des ais.

Nous trouvons différentes techniques de décoration sur les reliures gothiques. L’estampage à chaud est la technique la plus fréquente mais l’iconographie des fers, des plaques et des roulettes et les styles évoluent.

La technique du cuir-ciselé, la plus exigeante, est principalement localisée dans les pays germaniques malgré quelques exemples retrouvés en Italie du Nord, en Autriche et en Bohême. Les motifs sont créés par l’incision du cuir, préalablement humidifié, à l’aide d’un couteau ou d’un poinçon. Enfin, l’estampage à l’or apparaît en Italie vers le milieu du XVe, puis ensuite dans le reste de l’Europe.

Les liens ou attaches subsistent encore au XVe siècle. On en distingue deux sortes : la première, composée de longues sangles de fixation, a été largement employée sur les reliures romanes et restent en usage jusqu’à la fin du XVe siècle ; la seconde utilise agrafes et contre-agrafes.

Cela consiste à clipper un « crochet » dans une plaque percée en son milieu et clouée sur l’autre plat4. Restent les protections utilisées sur les lourds ouvrages ecclésiastiques comme les bouillons, cornière, ombilic…5

Elles évoluent dans leur forme et dans leur aspect décoratif. Sur les imprimés possédant une reliure de petit format, les fermoirs sont souvent remplacés par des liens de tissu ou de cuir.

Le texte

Il est généralement assez dense, disposé sur deux colonnes ou à longues lignes, pour en faciliter la lecture et cela, notamment dans les grands formats.

Il y a ou pas une page de titre, assorti d’une table, placée en tête ou en queue de volume. Suivant la tradition médiévale, le texte est parfois imprimé en gros caractères au centre de la page et, inséré dans les annotations d’une typographie plus petite.

Les différents livres et chapitres sont souvent numérotés, mais en tête, un espace est laissé vacant pour que l’enlumineur puisse réaliser l’initiale et la décoration.

Parfois la minuscule imprimée dans cette réserve blanche permet de guider l’enlumineur.

Les caractères

L’incunable emprunte, à l’origine, la lettre gothique utilisée par les copistes, conservent les nombreuses abréviations et ligatures de lettres de l’écriture manuscrite. On distingue trois types de lettres gothiques :
- La lettre « de forme » réservée usuellement aux bibles, gros caractères imposants appelés textura.
- La lettre « de somme » utilisée pour les ouvrages de théologie scolastique ou les éditions juridiques, caractères plus ronds, gothiques appelés aussi rotunda.
- La lettre « bâtarde » sorte de cursive utilisée pour les textes en langue vernaculaire et les textes en latin courants.
Figure 10. : Incunable A23
Figure 11 : détail incunable A23
Le caractère romain, quant à lui, voit son origine en Italie. Les humanistes, en particulier Pétrarque, remettent à la mode la minuscule caroline pour copier les textes de l’Antiquité classique dont elle semble plus proche.

L’illustration

L’enluminure reste la première illustration de l’incunable. Les rubriques, les lettres peintes, souvent avec alternance de rouge et de bleu, sont des éléments courants.

Afin que l’art typographique reste au plus près de l’art du copiste, l’incunable a parfois en marge des réglures tracées à la main.

Puis, l’imprimeur s’occupe de l’illustration.

La taille d’épargne ou gravure sur bois prédomine.

Cette technique, relativement simple, qui emploie un procédé en relief comme la typographie, permet donc d’imprimer en même temps le texte et l’image.

Isabelle Scappazzoni est expert technicien en livres anciens et modernes, enluminures et reliures. Membre de la Fnepsa depuis 2009. Secrétaire générale depuis 2018.

 

1. Les archives d’Avignon conservent un écrit stipulant que Procope Waldvogel, orfèvre, enseignait l’ « ars scribendi artificialiter » (« art d’écrire artificiellement ») vers 1444-1446, en utilisant un matériel métallique.

2. Paul Adam (1848-1931), co-fondateur du journal Archiv für Buchbinderei

5. Cette description de la reliure gothique est tirée en grande partie de l’ouvrage de J.A. Szirmai.

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