Dans le domaine de l’art tribal, et probablement plus que dans beaucoup d’autres, la patine ou son absence est le tout premier élément qui va orienter notre regard sur l’intérêt d’une pièce. Inconsciemment, elle influence notre jugement bien avant les qualités esthétiques et ethnographiques d’un objet.
On a aussi tendance à penser que plus un objet est ancien, plus il est patiné et qu’une patine est une croûte épaisse et sombre laissant, par endroits, apparaître des parties plus claires et luisantes aux points de frottement…
Les choses ne sont fort heureusement pas aussi simples. Et pourtant cette impression universelle est largement exploitée par tous les marchands de souvenirs exotiques face aux touristes partis « faire » l’Afrique… mais pour une semaine tout au plus ! A leur question : « Est ce que c’est ancien ? », ces marchands répondront invariablement : « Vieux ? … vieux comme la terre ! Patron ! », histoire de flatter ce sentiment de supériorité qui sommeille toujours en nous et associé à un sentiment de culpabilité qui déclenchera l’acte d’achat. Qui pourrait les blâmer d’user de tels arguments ? Le plus gênant, c’est lorsque l’on retrouve ce type d’attitude chez nous, chez des professionnels ayant pignon sur rue, et quel que soit leur niveau. Mais cela est un autre débat très complexe !
En règle générale, la patine se forme dans le temps au cours de l’usage pour lequel l’objet a été conçu. Dans le cas des ustensiles à usage domestique (cuisine, outil) cela se traduit souvent par la formation rapide de fortes patines de belles couleurs et d’usures sympathiques. Nombre de pièces usuelles, dites « ethnographiques », en sont le support. Mais ce sont les patines des pièces rituelles qui excitent le plus notre imaginaire et celles que les faussaires s’efforceront surtout d’imiter. La patine des pièces rituelles est bien sûr due à la fonction de l’objet au cours des rites. Aussi faut-il éviter d’associer systématiquement « patine » et « croûte épaisse ». En effet, certains usages font que la véritable patine est justement l’absence de patine. Pour illustrer ce fait, je citerai l’exemple des Korvar. C’est à la fois le nom d’une aire géographique (Nord Est d’Irian Jaya) et de sculptures en bois anthropomorphes. Dans de rares cas, la partie tête était en fait un réceptacle pour recevoir un crâne d’ancêtre. Ces sculptures-reliquaires, étant très précieuses pour le clan, étaient conservées, en dehors des rites, dans un emballage de toile faisant office de linceul. Elles sont souvent dépourvues de patines et d’usures. Un autre usage rituel consiste, comme chez les Bambara du Mali, à sortir tous les sept ans certaines statues (Do Nyéléni, favorite de Faro, la déesse de l’eau) et, après des libations, à les laver et à les oindre d’huile de sésame ou de beurre de karité additionnés de terre. Le bois peut avoir un aspect sombre ou délavé et ses veines sont parfois creusées par les brossages répétés. Pour des pièces de bonne ancienneté, ces usures peuvent apparaître artificielles.
Bien que peu séduisant aux yeux des néophytes, ce procédé est largement utilisé pour tromper les amateurs éclairés et la supercherie n’est pas toujours simple à détecter. Les patines épaisses, dites croûteuses, sont les plus courantes. Elles sont aussi les plus faciles à imiter et les plus promptes à masquer la faiblesse d’une sculpture. On les retrouvera parfois même sur des pièces dont l’usage rituel ne peut en aucun cas les produire (voir les deux exemples ci-dessus cités). Pour détecter une anomalie, il faut donc avoir quelques notions sur le type de rituel pour lequel les objets sont utilisés.
Ces patines épaisses se forment soit par adjonction de matières sur l’objet vénéré sous forme d’offrandes, soit par son exposition ou sa conservation dans un milieu confiné et/ou chargé en fumée par exemple. L’odeur de fumée est d’ailleurs une des caractéristiques des pièces tribales. A savoir qu’un masque d’Afrique de l’Ouest sentant cette forte odeur aura probablement été patiné artificiellement au dessus d’un feu de bois vert et a donc toutes les chances d’être faux. Cela n’est plus aussi vrai dans le cas d’une pièce du Népal car la conservation dans un univers enfumé correspond tout à fait à une réalité et c’est donc plutôt bon signe.
Une suite est donnée à cet article : Les patines des pièces tribales (2)
Jean-Claude Herrera Gutierrez est expert en arts premiers. Membre de la Fnepsa depuis 2007.
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