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Pièces tribales : art ou artisanat ?

par Jean-Claude Herrera Guttierez

 

Pièce tribaleDans nos sociétés occidentales et jusqu’au Moyen Âge, les artistes restaient, à quelques exceptions près, complètement anonymes derrière leurs œuvres.

En effet, c’est guidé par Dieu que la main de l’artisan transcendait la matière en reproduisant une image directement dictée des Cieux. L’habileté de l’exécutant ne faisait que renforcer l’idée que de telles réalisations ne pouvaient avoir qu’une origine divine.

C’est à partir de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance italienne que des ateliers puis de artistes deviennent des « Stars » du monde des arts et commencent à signer leurs œuvres. Le même phénomène se retrouve dans les sociétés tribales.

Il existe bien sûr des grands ateliers (atelier de Lukuga ou Kinkondja, en pays Luba, RDC) et des sculpteurs connus (Maître de Buli en RDC, Ateu Atsa au Cameroun ou Olowé d’Isé au Nigéria), antérieurs au XXe siècle, mais il faudra attendre sa deuxième moitié pour voir apparaitre l’identité d’un artiste attachée à son œuvre. C’est ainsi que l’on reconnaît aujourd’hui le sculpteur Ousmane Sow (Sénégal), les peintres Chéri Samba (RDC) et John Mawurndjul (Australie) ou le photographe Malik Sidibé (Mali) en tant qu’artistes à part entière. La démarche de l’artiste actuel est bien différente de celle de l’artisan qui officie au sein d’un groupe ethnique et qui a la charge de servir de vecteur à une puissance surnaturelle et d’en produire une image.

Chez eux, la notion d’ « Art » n’existe pas et bien plus qu’un ornement, l’objet rituel sert avant tout de moyen de communication entre les esprits et les humains. Beaucoup de ces sociétés tribales pratiquent toujours, malgré un prosélytisme intense des « grandes » religions (Christianisme, Islamisme, Judaïsme…), l’animisme ou le chamanisme. Cette pratique soit est un retour à la tradition des ancêtres, soit a toujours été pratiquée parallèlement à la religion de l’envahisseur.

On peut d’ailleurs constater une évolution des objets cultuels (masque, statue…) comme des objets usuels (poterie, cuillères…) ou instruments de pouvoir (arme, sceptre…) en fonction des influences reçues. Ainsi, il n’est pas rare de voir dans l’iconographie de certains objets sacrés, des attributs de la religion du colonisateur ou bien des objets ou éléments d’objets occidentaux « relookés » à la mode indigène. C’est probablement l’association d’une grande ouverture et d’un certain fatalisme qui donne à ces sociétés la capacité d’absorber en transformant et en adaptant à leurs cultures des éléments de nos cultures dites développées.

Gunstock Warclub : Amérindiens des Plaines (Cheyennes, Sioux, Cree, Pawnee, Mandan, Ojibwa, Blackfeet). Assurément, c’est le plus étonnant casse-tête par sa forme inspirée de celle des fusils. Il apparaît au début du XIXe siècle. A-t-il été fabriqué à partir de fusils récupérés sur les colons ? A-t-il été inspiré par l’utilisation que ces derniers faisaient de leur fusil dans les combats au corps à corps, une fois l’unique coup tiré ? Personne ne semble connaître la véritable réponse, mais le résultat est que cette arme est des plus redoutables avec sa masse en forme de crosse et surtout le court et robuste fer en lame de couteau, planté au centre du bois à la hauteur du chien de fusil. 

Sculpture tribale

La notion de décoration est également totalement absente au sein de la tribu et ce n’est que lorsque la pièce intègre l’univers aseptisé d’une galerie ou le jardin secret d’un collectionneur « maniaco-dépressif », que ses lignes revêtent un sens totalement différent. On est alors bien loin de sa fonction et de son environnement d’origine.

Pour son fonctionnement cultuel, on demande simplement à l’objet sacré de posséder les éléments symboliques nécessaires pour le rite. Peu importe la compétence de l’artisan qui l’a réalisé et la qualité de son exécution. Le sacré gommera aux yeux de ses adorateurs toutes les imperfections d’une sculpture et qu’il soit « chef d’œuvre artistique » ou « brocante tribale »,  le fidèle lui vouera la même dévotion et le défendra quitte, probablement, à payer de sa vie.

Dès l’instant ou une pièce a terminé son office (masque, par exemple, suite au décès de son porteur), celui est désacralisé. Il peut être alors détruit ou, comme c’est souvent le cas de nos jours, vendu. Ainsi l’objet partira pour une nouvelle vie, vers de nouveaux adorateurs. Son rôle ne sera plus de couvrir le visage d’un corps endiablé évoluant au milieu d’un cercle de latérite entouré d’une foule électrisée par le son des tam-tams. Son univers, désormais, pourra se résumer à un écrin feutré sur les cimaises d’une salle des ventes ou dans la vitrine d’un musée où la chaleur du soleil tropical aura cédé sa place à celle des spots.

D’ailleurs, en dehors de celles qui en ont fait leur profession, rares sont les personnes issues des sociétés tribales qui prêtent attention aux objets de leur origine culturelle exposés dans une galerie.

Dernier point qui marque vraiment une différence entre nos canons artistiques et ceux des sociétés tribales : le laid, le beau ! Traditionnellement nous établissons une échelle de valeur qui part du « laid » vers le « beau ». Cette notion est carrément bousculée en matière d’art tribal et se rapproche en cela de l’art contemporain. En effet, ces deux notions évoluent plutôt en parallèle en fonction de l’objectif du rituel.

Evidemment, une recherche esthétique est indéniable dans la perfection de certaines sculptures et elle devient alors bien plus parlante et accessible pour les néophytes qui découvrent cette forme d’art si elle se rapproche de notre académisme.

Pièce tribale

En opposition, nous trouvons des sculptures qui nous apparaissent épouvantables par les monstruosités et les difformités qu’elles nous offrent. Pourtant, elles sont toujours le fait d’une recherche particulièrement poussée afin de symboliser la force physique et la puissance magique d’un génie. Ces sculptures font d’ailleurs preuve d’une immense créativité qui n’est pas restée sans écho sur la sensibilité des artistes du début du XXe siècle tels que Derain, Braque, Picasso, Brancusi…

Elles ont toujours, de nos jours, un important impact sur la création contemporaine. Selon l’esprit tribal et à quelques exceptions près, les artisans de ces sociétés sont toujours très proches, par leur l’état d’esprit et leur manière de réaliser leurs œuvres, de celle d’un sculpteur du XIIe siècle qui, au fin fond de l’Auvergne, était chargé de réaliser une de ces désormais célèbres Vierges assises dites « romanes ».

Articles du même auteur : Les patines sur les pièces tribales (1) et Les patines sur les pièces tribales (2)

Jean-Claude Herrera Gutierrez est expert en arts premiers. Membre de la Fnepsa depuis 2007.

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